Une journée dans la peau d’une jeune hippie
On est le 24 août 1971. Je viens de me réveiller. J’ai 21 ans et l’esprit un peu embrouillé. Hier, j’ai pris de l’acide. Nous nous baignions à la rivière et un ami m’a proposé un bout de carton imbibé d’une nouvelle acide. Elle prend plus de temps à agir. Tu prends un bout et t’as l’impression que ça marche pas alors tu prends une deuxième dose et là c’est dangereux. Tu vis un trip affreux. Rien à avoir avec le pot ou le hasch. J’me souviens de rien.
J’me suis réveillée dans un lit. On à pas d’horloge, on à pas besoin de savoir il est quelle heure. On se lève quand on se lève et on mange quand on à faim. Dehors, les gens rient. Nous sommes heureux. On aura beau dire ce qu’on voudra, nous, les hippies, sommes les vrais de la génération. On ne se complaint pas dans le matérialisme. Nous vivons en parfaite autarcie. Dans une communauté ou règne l’utopie. Aujourd’hui, nous allons manifestés. Tous ensembles. Mes amis et moi, nous partons bientôt. Nous allons marcher jusqu’à l’usine de papier la plus proche. Nous voulons nous faire entendre. Nous allons nous faire entendre.
Voilà bientôt 2 heures que nous marchons. Nous chantons aussi. Pour rien. On chante parce qu’on aime chanter. Les chansons de l’heure. Bob Dylan, Zappa … Nous vivons à travers la musique. Oui. Enfin, on peut voir les grosses cheminées d’où s’échappent des tonnes de fumée non filtrée. C’est un véritable meurtre prémédité.
Nous campons devant les portes principales. Couvertes, guitares et marijuana. Nous crions des slogans. Nous voulons nous faire entendre. Nous allons nous faire entendre. Nous sommes des jeunes aux esprits ouverts. Nous vivons dans un monde de consommation. Nous nous sommes révoltés contre le monde entier, contre le sexisme, contre le racisme. Nous voulons faire bouger les choses et nous ne nous doutons pas que notre temps sera bientôt révolu.
Le soleil se couche mais nous n’en avons pas conscience. Guitare, tam-tam et voix se mélangent et créent une ambiance, une musique des plus envoûtantes. C’est avec la musique et la drogue que nous essayons de trouver le monde parfait, l’état d’esprit le plus sain. Certains nous pensent fous, d’autres junkies. Peut-être. Junkie de la vie, oui! Peu importe la pensée de personnes qui ne nous comprennent pas et qui ne nous comprendrons jamais. Au diable aussi les conséquences de nos actes. Nous vivons pour la journée même, nous nous battons pour un environnement plus sain, aujourd’hui.
La lune a remplacée le soleil, les étoiles nous parlent. Certains sur leur trip d’acide me parlent de femme lézarde ou encore d’immense palmier qui échange leurs places. D’autres fument de la shit, certains font l’amour. Faire l’amour. Nous avons une sexualité si épanouie! Ça choque les puritains. Nous ne sommes pas gênés. Au diable les soutien-gorge trop serrés. Notre communauté est remplie d’amour. Il n’y pas de jalousie. Nous pouvons aimer la personne que nous désirons et ce pour le nombre de temps que nous voulons.
Ce soir, j’ai le goût de faire l’amour avec le loup. C’est son surnom ici, puisqu’il gueule comme un loup. Jamais je ne repousse mes instincts. Personne ici ne cache ses émotions. Personne. Je le prends par la main et lui sourit. Bientôt nos corps ne feront qu’un. Nos esprits aussi. Il me tend une capsule, du LSD. Je la prends avec joie. « Baiser sous acide, c’est comme si le cosmos entier faisais l’amour » dira plus tard un vieux hippie. Nous dansons dans la nuit, dans ce champ de fleur, près de l’enclos des moutons. Une couverte est étalée par terre. Je me sens bien. L’homme dont j’ai envie est avec moi cette nuit.
Chakra contre Chakra, nous faisons l’amour. 1, 2, 3 orgasmes simultanés. C’est peut-être l’acide, c’est peut-être aussi le fait que nous prenons le temps de nous aimer. Nous formons alors un tout, un monde à part entière. Un univers. Je ne me pose pas de questions. Peut-être tomberais-je enceinte. Ça m’importe peu. Nous faisons l’amour.
Je me réveille, des gouttes de rosée partout dans les cheveux. Un frisson me parcours le corps. Je suis nue. Mon loup est tout près, il dort encore. J’ai mal à la tête. Je me couche, collé contre son corps et je m’endors. Des flash-back dus à l’acide. Je trip encore. Nous sommes le 25 août 1971 et je me sens toujours bien malgré mon esprit embrouillé.